Mafia un jour, mafia toujours

Hey ; Salut toi ! 🙃

Aujourd’hui je te présente un exercice d’écriture que j’ai fait il y a quelques temps, et je te laisse les consignes, si toi aussi tu veux t’essayer à ce petit récit !

J’aime beaucoup ce genre d’entraînement, mais j’avoue que le plus difficile pour moi est de rentrer dans la limite de mots imposée ! Ce qui fait que mes textes ont tendance à être expéditifs sur la fin, alors qu’un flot bouillonnant d’idées fuse encore dans ma tête ! 🤯

Je ne compte pas en rester là, j’ai tellement aimé cet exercice que j’envisage de le reprendre pour en faire une version longue, plus détaillée et surtout plus crédible. Peut être qu’un jour on le retrouvera en librairie, qui sait… 🤞

J’espère que ta lecture te plaira et qu’elle t’apportera des idées neuves pour peut-être te lancer dans un genre nouveau, d’un point de vue écriture comme lecture !

N’hésite pas à me dire ce que tu en as pensé en commentaire 😘

A bientôt !

Consignes :

Faire un court récit (maximum 2500 mots) sur la mafia, peu importe son origine (italienne ; sicilienne ; japonaise etc.), du moment qu’elle est déjà existante et réelle.

Contraintes :
Il faut qu’on ressente l’évolution du personnage ; le perso principal ne doit pas être à la tête d’une organisation criminelle.

Ma fille

« Mon père est un idiot.

Il n’aurait jamais dû épouser ma mère, encore moins en tomber amoureux.

Ma mère est une idiote.

Elle n’aurait jamais dû embrasser mon père, encore moins le cacher à son père.

Papy Gallo est flic, c’est papa qui me l’a raconté, un soir où il avait trop picolé. Depuis que maman est morte, il n’est plus le même. Il n’arrête pas de boire, il fume comme un pompier et jure comme un chiffonnier.

Je dis ça, mais qu’est-ce que j’en sais ?

J’avais six ans quand on est partis d’Italie, en pleine nuit, dans la vieille Innoncenti de 92, avec pour seules affaires celles qu’on avait sur le dos. Papa a pleuré tout le trajet. Moi, j’avais bien trop peur pour faire le moindre bruit.

Je me souviens de la flaque rouge qui imbibait le parquet du salon. Le cri de papa lorsqu’il a lâché ma petite main. Quand il s’est jeté au sol pour la prendre dans ses bras. Il la serrait si fort que j’ai cru entendre les lattes craquer.

Ou alors c’étaient ses os cassés ?

Peu importe.

Elle était morte seule, sans défense, comme un animal qu’on abat pendant une partie de chasse.

Je revenais d’un anniversaire, il me semble. Je me rappelle du chapeau pointu que je portais, et aussi du sachet de bonbons que j’avais laissé tomber dans l’entrée, quand je l’ai vue.

Ça fait huit ans que nous sommes arrivés en France, enfin, que nous nous sommes exilés, plus exactement. Je n’ai jamais rencontré ni Papy Gallo, ni Papy Mancini, le père de mon père. Lui, il est mort quand j’étais bébé, du coup c’est papa qui a dû reprendre les affaires familiales, avec monsieur Romano. Je me souviens un peu de cet homme, aussi gras qu’un cochon, avec de petits yeux de corbeau. Mais c’est rapidement devenu l’ami de mon père, puis de ma mère, c’est ce qu’elle raconte dans son journal.

Quand on a quitté la maison en vitesse, je me rappelle avoir attrapé par réflexe le carnet, caché sous les coussins du sofa. Je ne sais pas pourquoi je l’ai emporté, alors que j’ai laissé derrière moi mon doudou.

Il me manque parfois.

Me voilà, aujourd’hui, dans cet autobus vide, à griffonner un plan stupide, sur un cahier vierge que j’ai volé un peu plus tôt dans la journée. Je n’ai pas prévu de rechanges ; là où je vais, je n’en ai pas besoin. Dans une petite heure, j’arriverai à Bologne, plus déterminée que jamais.

Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, mais ce n’est pas grave. Après tout, la mort attend son heure, alors j’attendrai certainement la mienne là-bas.

Ma mère, cette idiote.

Si seulement elle n’avait pas couché avec mon père, si seulement il ne l’avait pas mise enceinte à la sortie de l’école, si seulement j’étais décédée dans son ventre, elle serait toujours là.

Dans son journal, elle parle d’une magnifique amourette pendant les grandes vacances d’été, au bord de la plage. Elle n’avait que seize ans, lui dix-neuf.

Je sais ce qu’attendent les garçons de cet âge, pourquoi pas elle ? C’était une idiote.

Elle l’a épousé, erreur. Je suis née, erreur. Elle a caché à son père que son mari était dans la mafia, ERREUR.

Soi-disant qu’elle a préféré couper les ponts avec toute sa famille, pour ne pas leur attirer de problème. Encore une erreur.

Tout ce que j’ai découvert dans ce carnet, c’est qu’elle commençait à avoir peur pour nos vies. Elle avait lu dans les journaux que la brigade anticriminalité de la ville avait un nouveau chef, devinez qui ?

Papy Gallo, félicitations pour ta promotion.

Mon père, cet idiot.

Si seulement il avait trouvé une fille de son âge, si seulement il avait tenu sa queue entre ses pattes, si seulement il avait quitté ce monde de fou, elle serait toujours là.

Quand il boit, il parle trop, ça ne m’étonnerait même pas que ce soit lui qui ait vendu la mèche à son ancien patron. Il aurait été capable de porter un toast, ivre mort, en racontant la vie de son beau-père, celui qui a juré aux habitants qu’il enterrerait un à un tous les mafiosos de la ville.

Il a l’alcool facile, erreur. Il ne sait pas tenir sa langue, erreur. Il a épousé la fille du flic, ERREUR.

Le chauffeur annonce l’arrivée, je récupère le carnet raturé et le journal de maman, puis descends par les escaliers à l’arrière. Je remonte ma capuche pour camoufler mes longs cheveux bruns, je ne veux pas qu’on me remarque. Je cherche dans les rues sombres un endroit pour me cacher le temps que le jour se lève.

Je somnole un peu, c’est bien fait pour moi, je n’avais qu’à dormir dans le bus, au lieu de cogiter.

Papa n’a pas encore dû voir que je n’étais plus dans mon lit, il est trop tôt pour ça. Le soleil commence à peine à pointer le bout de son nez. Des lueurs orangées traversent le boulevard, pendant que le ciel prend des airs de barbe à papa. Un petit bistrot semble ouvert, de la lumière s’échappe de la grande vitrine.

J’ai faim.

Une fois à l’intérieur, le serveur et les deux hommes accoudés au bar me dévisagent. Je m’approche en baissant les yeux, de peur qu’on me reconnaisse et qu’on devine mes intentions. Je commande un chocolat chaud, dans ma langue natale. Mon père n’a jamais réussi à apprendre le français comme il faut, alors il me parle toujours en italien, encore pire quand il est saoul. Je m’assois au fond de la pièce et reprends le journal de maman. Je sais que j’ai déjà vu son nom noté quelque part.

Ah, voilà.

Marino.

Monsieur Marino.

Ce fils de putain, celui qui a tué ma mère.

Enfin, plutôt celui qui a ordonné sa mort. Je n’en veux pas à celui qui a appuyé sur la détente, il devait avoir peur pour sa propre vie.

Mais Marino, tu ne paies rien pour attendre, je l’ai juré.

Mon cœur tape dans ma poitrine, il n’a jamais battu aussi fort. L’adrénaline monte dans mes veines, parvient jusqu’à mes tempes, cogne dans ma tête.

Et mon idiot de géniteur bossait pour cet homme. Je me demande s’il avait pensé qu’un jour ça arriverait. S’il avait prévu que peut-être sa famille éclaterait en mille morceaux, qu’il perdrait la seule femme qui l’ait toujours aimé et soutenu.

Quelle idiote !

Je reviens vers le comptoir et dépose quelques pièces ; avant de partir je me retourne et scrute le serveur qui débarrasse ma table. 

— Excusez-moi, vous savez où je peux trouver Marino ? 

L’homme recule en écarquillant les yeux. Je comprends que je viens de faire ma première erreur. Il survole la salle pour vérifier qu’il n’y a pas d’oreilles mal intentionnées, puis se penche vers moi et chuchote. 

— Barre-toi petite, et prononce plus jamais ce nom par ici. 

Sa voix tremble, il a le regard fuyard, une vraie lopette.

J’acquiesce uniquement pour ne pas attirer son attention, remonte ma capuche et sors du bistrot. Je tourne dans la première rue, me laisse glisser contre le mur, puis contemple discrètement ce qui se passe dans le café. Le serveur vient sur la terrasse, toise les alentours, puis extirpe un portable de sa poche arrière. Il compose un numéro à la va-vite et porte l’appareil à son oreille. Il se prend la tête dans une main, fait les cent pas devant la porte vitrée, jette des regards furtifs autour de lui. Je ne sais pas à qui il parle, mais je pense que j’y suis pour quelque chose. J’attends pendant un long moment dans la ruelle, assise par terre. Heureusement, je ne croise quasiment personne.

Le soleil est déjà bien haut dans le ciel quand, enfin, un homme en costume entre dans l’établissement. Il n’a pas une tête d’alcoolo, je suis sûre qu’il fait partie de la bande. À peine une minute plus tard, un autre individu bien fringué rentre dans le bistrot, mais cette fois-ci c’est un garçon; il doit avoir mon âge à peu de chose près. Ils ressortent ensemble après une dizaine de minutes, puis chacun part de son côté. Je me relève, me faufile entre les passants pour ne pas me faire repérer par le serveur, puis emprunte la ruelle qu’a pris le plus jeune. Je l’aperçois, il n’est qu’à quelques mètres devant moi. Je replace ma capuche dans mon dos, arrange un peu mes cheveux tout en accélérant mes foulées. Je lui emboîte le pas et le bouscule en passant à côté de lui. 

— Oh pardon, j’ai pas fait exprès, ça va ? 

— Euh… Oui, ça va… T’es qui toi ? Je t’ai jamais vu par ici. 

— Julia, et toi c’est comment ? 

— Moi c’est Tio. Tu viens d’où ? 

Après quelques échanges de banalités, je lui propose d’aller se promener un peu. Il opine du chef, un sourire surpris sur le visage, puis me fait signe de marcher à ses côtés. Il est mignon et bien élevé. Mais je ne suis pas là pour les beaux yeux d’un Italien. Enfin si, mais pas les siens. Quoique son nom me rappelle vaguement quelque chose. Il faut que je vérifie dans le journal de maman. Je m’arrête devant le premier restaurant que je vois et montre du doigt la porte d’entrée. Je prends ma voix la plus suave, la plus mielleuse que je sache faire.

— J’ai envie de faire pipi, tu m’attends, Tio ? 

— Pas de soucis. 

Je rentre en vitesse dans les toilettes pour dames, m’enferme à double tour, ouvre mon petit sac à dos et attrape le carnet. Je survole les pages, jusqu’au moment où maman raconte qu’ils ont été invités au baptême du fils de Marino.

Tio Marino.

Bingo !

Je passe la porte tout en fourrant le journal dans le sac. Je ressors du restaurant en arborant mon plus beau sourire. Il est toujours devant l’entrée, droit comme un piquet. Il me regarde avec de petits yeux rieurs, je crois que je lui plais.
               Lorsqu’on repart, je glisse ma main sous son bras et y reste accroché fermement, je ne compte pas le quitter de sitôt.

On passe l’après-midi ensemble, on mange des glaces, on se balade, on s’embrasse aussi, près de la fontaine, en plein milieu de la ville. Il peut me prendre pour une fille facile, je m’en fous. Il peut même me prendre tout court, ça ne me fera ni chaud ni froid. Je sais que quatorze ans c’est un peu jeune pour ces choses d’adultes, mais si c’est pour trouver son enfoiré de paternel, je suis prête à le faire.

Visiblement, il est bien trop galant pour me toucher plus que les lèvres. Ou peut-être bien trop coincé. Pas plus mal, si je peux mourir vierge, ça m’arrange.

Irais-je au paradis si, avant le mariage, je tue, mais ne baise pas ?
               Je le saurais bien assez tôt.

Le soleil commence à se coucher, Tio me propose de le revoir le lendemain. Je crois qu’il m’aime bien. J’accepte en l’embrassant, avec la langue cette fois, promesse d’une journée encore plus agréable, puis je tourne les talons. Je fais mine de reprendre la rue par laquelle nous sommes arrivés ici, dans ce pavillon résidentiel. Dès que je sors de son champ de vision, je me cache derrière la barrière d’un jardin, en remontant ma capuche sur mes cheveux. Je le vois, de loin, qui s’avance en regardant autour de lui. Il atteint la troisième maison, ouvre le portail en bois, gravit le petit escalier qui mène à la porte d’entrée, s’arrête sur le perron pour se déchausser puis finit par s’introduire dans la demeure. Après quelques minutes, je longe les massifs, contourne les voitures, essaie de paraître la plus naturelle possible. Arrivée devant la boîte aux lettres, je vérifie le nom.

« Famiglia Marino »

Bingo !

Je saute par-dessus le portillon, grimpe à pas de chat les quelques marches, mais me ravise lorsque j’attrape la poignée. J’entends du bruit à l’intérieur de la maison, peut-être qu’ils ont des invités.

Ces pauvres gens n’ont peut-être rien à voir dans cette histoire.

Je redescends discrètement, en jetant un œil au voisinage.

Personne dans les parages.

Je me faufile à gauche, entre le mur et la haie de cyprès, puis fais le tour de la bâtisse. À l’arrière, je découvre un bout de jardin, une petite terrasse bétonnée, une baie vitrée immense qui me laisse apercevoir ce qui se passe à l’intérieur. Les lumières sont quasiment toutes éteintes, seules celles de l’îlot de la cuisine semblent allumées. Il n’y a personne, c’est étrange. J’étais persuadée d’avoir entendu des voix. J’attrape le bord de la grande vitre et constate qu’elle est ouverte, je la fais glisser en douceur, espérant n’alarmer personne. Je pénètre dans le salon, c’est fou ce que c’est chic et ordonné.

Ils doivent avoir beaucoup de fric, ces gens-là ! C’est que ça paie bien, le crime organisé.

Je tente de me concentrer sur ma mission, monte les escaliers sur la pointe des pieds, arrive à l’étage et reconnais l’ombre du sweat à capuche de Tio sur le sol, et ses cheveux bruns désordonnés, s’échappant de la salle de bain ou peut-être d’une chambre. Lorsqu’il en sort, il pousse un léger cri d’effroi. Par réflexe, j’attrape le flingue de mon père, que j’avais caché à l’arrière de mon jean avant d’entrer dans la maison.

J’ai vu ça dans des films, mais bordel que c’est pas pratique ! Il était bien mieux dans mon sac.

J’ai le cœur qui cogne contre ma poitrine, les mains qui tremblent, les jambes qui flageolent.

Ça y est, on y est maman. Je te l’ai promis et je l’ai fait, je vais te venger !

Tio lève les bras au-dessus de sa tête, il pleurniche comme une fillette. 

— Je t’en supplie, me tue pas ! Julia, pitié !

— Ma mère aussi a dû supplier pour qu’on l’épargne, pourtant ton père ne lui a pas laissé le choix ! 

Les larmes commencent à couler le long de mes joues, ma rage prend le dessus, je suis au bord de l’explosion, mais quelque chose me retient d’appuyer sur la détente.

Je ne suis pas une criminelle, si ?

Soudain, une porte s’ouvre derrière lui : un gros bonhomme ensommeillé, habillé d’un peignoir en satin, reste dans l’embrasure et nous regarde. Marino écarquille les yeux, et tente de se placer devant son fils. Cette fureur en moi, toute cette haine, refoulées depuis si longtemps. J’en veux à mon père de ne pas l’avoir eu autant que moi. Si ça avait été le cas, ce salop ne serait déjà plus de ce monde.

Le bruit de la détonation, l’odeur de la poudre, le craquement de ses os sous la pression de la balle, sa chair déchiquetée, son sang qui gicle de son gros ventre. J’appuie encore, en hurlant cette fois-ci. Les larmes coulent, je ne peux plus les arrêter.

Je ne vois pas où partent les coups, tout ce que je sais, c’est que le parquet va être taché de rouge.

Me revoilà, quatre heures plus tard, dans l’autobus qui me ramène en France. J’ai dans ma poche la chevalière de Marino, l’alliance de sa femme et la gourmette de leur fils. Je suis épuisée par mes actes, par la course poursuite qui s’en est suivi avec les policiers, par ma cache qui a duré ce qui me semble être une éternité. Heureusement que j’avais ma capuche, je les ai entendu dire dans leur talkie-walkie qu’ils recherchaient un jeune adolescent.

Je note tout dans mon carnet, pendant que les images sont encore fraîches.

Qui sait, un jour, ma fille en aura peut-être besoin. »

Laisser un commentaire